Qu’y a-t-il de plus difficile que de pardonner ?
Et en même temps, qu’y a-t-il de plus pénible que de vivre avec son ressentiment sans arriver à pardonner ?
C’est un comble, mais c’est ainsi.
Tout va bien, on mène son petit bout de chemin en faisant de son mieux, et tout à coup une bombe nous tombe sur la tête — du moins c’est comme cela que nous prenons les choses. On se débat dans les débris, puis, sans l’avoir vu venir, on se retrouve du jour au lendemain tout autre : dans les tripes, on sent un canon prêt à tirer, qui se recharge en continu. Au niveau du coeur, c’est une désolation: un tas de pierre qui pleure ! Et dans la tête, il n’y a plus qu’un disque rayé qui joue sans cesse la même rengaine amère.
Bref, on est devenu ce pantin qui ne vit plus et qui n’a aucune idée — voire aucune volonté — pour tourner la page et revenir à la vie.
Evidemment qu’on aimerait pouvoir pardonner, car on ne peut pas continuer à vivre ainsi. On se rend bien compte qu’on s’inflige une pollution intérieure qui est dévastatrice, aussi bien pour soi que pour l’autre et la relation qui est en jeu. Mais voilà, comment faire ?
Tout d’abord, voici quelques éléments importants à considérer lorsqu’on cherche à pardonner :
- Le pardon ne se décide pas. Un beau jour, il advient. Il est la conséquence naturelle d’un retournement intérieur.
- La seule chose que l’on peut « décider », c’est de s’ouvrir à cette évolution intérieure, avec l’assurance certaine que ce pardon adviendra : le flot de la vie est toujours plus
fort et cette mort intérieure sera vaincue. Cela il ne faut jamais le perdre de vue. D’autant plus qu’on le sait : on l’a déjà vécu.
- Ne pas arriver à pardonner rapidement n’est pas une faute…Cela n’a rien à voir avec la morale. C’est avant tout la conséquence d’une attitude défensive. On a souffert et on ne veut pas que
cela recommence.
- La colère, voire la haine, qui est là et qui n’arrive pas à se dissiper est le signe que la personne ou la relation en jeu sont quelque chose d’important pour nous. Le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence. Donc c’est plutôt bon signe. Quand l’indifférence est là, la question du pardon ne se pose même pas…
Une fois ce point de départ établi, passons aux choses sérieuses :
La dernière fois que je me suis trouvée dans cette situation, j’ai compris une chose essentielle qui est devenue très claire avec le temps, au point que je peux la partager aujourd’hui.
J’ai compris que la partie de moi qui souffre, celle qui reçoit la fameuse bombe qui fait mal, ce n’est pas mon être profond, soit cette partie de moi qui est mon socle inaltérable, ma vraie nature, mon refuge d’où je reçois la vie…Au contraire, la partie de moi qui est susceptible d’être blessée et d’avoir mal, c’est mon ego.
Pour mémoire, l’ego est l’image que l’on a de soi et que l’on a besoin d’affirmer et de sécuriser en permanence. C’est donc la petite bête en nous qui crie constamment « et moi, et moi, et moi ! » et qui veille à son espace vital, au regard qu’on lui porte et à sa sécurité. Que de travail, et d’énergie dépensée, soit dit en passant.
Mais parce que l’ego se frotte à d’autres egos, cette image est souvent atteinte, attaquée, mise à mal, et dès qu’il y a blessure, l’ego attaque en retour. C’est une ronde sans fin…Bienvenue au royaume de l’ego !
Ce qui est curieux dans cette affaire c’est que la petit bête n’aime pas être "embêtée", mais en même temps cela lui donne une raison supplémentaire d’exister et elle aime se nourrir de cela. C’est du bonbon pour elle : qu’il est bon de juger et de critiquer l’autre pour se sentir supérieur ; qu’il est bon de blâmer l’autre pour se détourner de ses propres faiblesses, voire les oublier totalement ; qu’il est bon d’endosser le costume de victime pour se déresponsabiliser et accepter de s’enliser ; qu’il est bon de ruminer et de penser vengeance…pour occuper son cerveau à quelque chose !
Là où l’ego réussit un tour de force, c’est que plus le coup est ressenti comme rude, plus on se recroqueville sur soi-même et plus notre champ de conscience se rétrécit : on ne voit plus qu’une chose, le coup reçu. Notre vision ainsi limitée, l’ego monopolise le terrain et nos ressources intérieures de vie, de créativité pour renaitre de cette situation disparaissent. Longue vie à l’ego !
Normalement, quand on arrive à comprendre cela, on tombe à genoux tout penauds :
- On comprend qu’en se laissant toucher par cette fameuse bombe, on s’est « fait avoir » une fois de plus au jeu de l’ego.
- On se rappelle soudain avec compassion que ce type de bombe est davantage un problème pour celui qui l’envoie que pour le destinataire.
- Enfin, en tant que destinataire, on se rappelle sa propre responsabilité : si je suis ancré dans mon être, je peux accueillir ce qui vient et y répondre à partir des qualités de l’être: sérénité, discernement, compassion… Si au contraire je me suis « oublié » et que l’ego domine et m’aveugle, rien ne pourra empêcher la déflagration de la bombe et la souffrance qui s’ensuivra.
D’où cette sainte « claque » d'Anthony de Mello quand il rappelle que « Les souffrances mettent le doigt sur une région en nous-même qui n’a pas encore été développée, une région qui doit murir, se transformer, changer. » ("Quand la conscience s'éveille")
Eveiller notre conscience, rester en veille, rester centré dans l’être est l’unique et seule voie. C’est notre chemin, c’est le but de notre vie, c’est aussi notre nature. Anthony de Mello le dit merveilleusement (même ouvrage) :
« Lorsqu’on jette en l’air de la peinture noire, l’air ne se souille pas. On ne peut colorer l’air en noir. Il en sera de même pour vous, quoiqu’il vous arrive, vous ne serez pas souillé. Vous resterez en paix. Il y a des êtres qui ont atteint ce stade. C’est ce que j’appelle être humain. »
Cette paix ! Oui nous aspirons à cette paix de tout notre coeur.
Les chrétiens se rappellent sans doute cette phrase de Jésus : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix … Que votre coeur ne se trouble point, et ne s'alarme point. » (Jean 14:27). C’est de la paix dans l’être dont il s’agit, loin des gesticulations de l’ego. Il n’y a pas d’autre paix authentique que celle-là, que cette paix de l’être qui habitait Jésus.
On répète aussi aux chrétiens qu’ils doivent prier pour recevoir la grâce de pardonner. De fait, la force d’inertie de l’ego est si grande que se recentrer dans l’être pour vivre à partir des
qualités de l’être est toujours une grâce. Assurément, quand le Christ sur la croix dit ses dernières paroles « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils
font. », il incarne alors l’absolu de l’être, que rien ne peut anéantir, pas même le supplice de la croix.
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Cooreman Fabrice (mardi, 23 juin 2020 17:22)
Bonjour Dorothée,
Merci pour ces perspectives ! Des fenêtres ouvertes, des invitations pour aller dans la bonne direction :-)
Bien à toi,
Fabrice